Les sites de rencontre : POUR

Les sites de rencontre : POUR

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Travaux Pratiques, PhiloSex

23 Jan 21

Je trouve assez pénible tous ces gens qui n’ont jamais mis un doigt sur un site de rencontre mais qui nous bombardent d’études, d’essais et de commentaires virulents à l’endroit des dépravés de la relation (Anne Villacèque qui fait même un film sur le sujet sans avoir même créé un profil 🙄…).
Moi je vais vous en parler, et en connaissance de cause. Non que je les ai tous faits, mais je surfe régulièrement sur Tinder, l’incontournable, le plus connu, le plus décrié. Ensuite, vous trouverez celui qui vous plait le plus, en fonction de votre région, de votre style, de vos attentes, il y en a vraiment pour tous les goûts (voir florilège de Richard Mèmeteau page 95 : Notre-Dame-des-rencontres.com, Amours-bio.com, EntreUniformes.com, CougarPourMoi.com… je vous en passe et des meilleurs ! ).
Et si on essayait de redorer le blason de ces rencontres d’un nouveau genre ? Qu’est-ce qu’on fait différemment quand on rencontre en ligne de quand c’est dans un bar, dans une soirée ou dans un train ?
Les relations légères seraient trop faciles, elles auraient toutes la caractéristique sous-jacente de manquer de profondeur et d’engagement. Mais je me demande : la volatilité des profils ne nous permettrait-elle pas d’explorer incognito d’autres facettes de notre personnalité ? La légèreté ne pourrait-elle pas au contraire nous permettre de nous lover plus intensément dans le moment présent alors qu’elle nous libère de nos schémas, de notre moi social, de nos idéaux ? Est-il toujours nécessaire de faire de nos rencontres des relations profondes ?

On a dit site de rencontre, pas site de relation
Parce qu’après tout, on parle bien d’un site de “rencontre” et non pas d'un site de "relation". La relation c’est ce qu’on fait de la rencontre à posteriori. Ou pas. Comme le dit Helen Fisher, anthropologue et consultante pour Match.com depuis des années : Les sites de rencontre (“dating”) ne sont en réalité que des sites de mise en contact (“introducing”), le véritable algorithme est notre propre cerveau, c’est la cour que nous nous faisons depuis toujours. Cette séduction que nous opérons en ligne à grand renfort de photos, de petits mots et de chats est la même que nous faisons depuis des millions d’années avec des regards, des mots et des gestes. La mauvaise presse des sites de rencontre ne tient pas au fait qu’ils ne collent pas aux pratiques réelles/actuelles de la rencontre, mais plutôt que les relations qu'ils permettent ne soient pas en adéquation avec l’idéal amoureux tel qu’il nous porte encore aujourd’hui et auquel on s’accroche depuis le XIXè siècle avec le romantisme amoureux. Mais encore une fois, on confond rencontre et relation.

La rencontre : une clé dans notre évolution
Nos nouvelles rencontres (qui peuvent tout aussi bien être amicales ou professionnelles), pourraient suivre le cours de notre évolution personnelle, fidèles à un nouveau moi qui serait peut-être différent de celui d’il y a cinq ans. Ce serait aussi une garantie de rester frais et vivant, actualisé quant à nous même en côtoyant des gens qui font miroir à notre état évolutif. C’est cette facilité de connexion à un nouveau moi que permet le site de rencontre car il permet de se réinventer : oui, c’est toujours moi, mais je choisis certaines photos, je n'ai que quelques lignes pour me présenter et même sans le vouloir je le fais de manière un peu tendancieuse, je choisis une facette de ma personnalité. Comme je me présente je vais à l’encontre de l’autre, à sa rencontre, et je me rencontre aussi autrement.
De rencontres qui commençaient par une amitié pour évoluer vers un monde EMU (Exclusif - Monogamme - Ultime, Richard Mèmeteau), on passe à des rencontres en soi, qui ont le droit de devenir quoi que ce soit, ce qu’on veut l’un et l’autre, et aussi ce à quoi on ne s’attend pas, et des choses différentes à chaque rencontre. Cet immense champ de possibilités dépasse les standards des relations et de leur cadre figé (par moi-même et/ou mon contexte social). C’est un vaste univers ou toute création est possible. Et pourquoi ne pas se laisser aller à cette nouvelle relation, la laisser se poser là où elle veut, prendre la place qu’elle veut, là où ça résonne bien, plutôt que de tenter envers et contre tout de la définir selon nos schémas habituels.

Je “like” au feeling
Les défaitistes de l’amourologie moderne rétorqueront avec Gary Becker que le marché matrimonial bénéficie aux mieux dotés, sexys, intelligents, etc.,… mais c’est vraiment prendre les gens pour des cons et ne pas respecter le fait que l’amour, l’affect, le désir ou l’intérêt que chacun peut porter à un autre lui est propre et intime : qui d’autre que moi réagira à ce regard, ce visage incliné, cette veste portée sur l’épaule, cette voix qui fait résonner en moi seul.e et inconsciemment cette soif, ces joies, cette caresse ou ces douceurs indistinctes et subtiles... Les figures admirées ne sont que les icônes et les projections de notre personnalité moulée dans nos expériences personnelles, familiales, sociales : ce n’est pas parce qu’elle.il a choisi un mec que je trouve épouvantable qu’elle.il voit sa femme ou son mari comme un pis-aller, de la même manière que je peux craquer sur un type qui ne fera même pas sourciller ma copine... (et c'est tant mieux 😆).
Regarder le marché de l’affect comme un marché économique, avec des lois, des règles, des boutons sur lesquels on appuierait, ou une théorie des choix (Eva Illouz) c’est se tromper dans l’énoncé. C’est un postulat totalement ahuri dans le contexte de l’émotion qui est ici en jeu et qui tire justement sa puissance de l’intuition, de l’écoute de soi, processus désintellectualisé s’il en est (ou qui doit s’efforcer de l’être !). La soi-disant compétition que l’on voit sur les sites de rencontre n’est en réalité que le fait de quelques étudiants frénétiques (La crème de la crème), et les luttes pour le même mâle ne font que rarement la une des journaux, on n'est plus au XIXè chez les Bridgerton (voir série Netflix éponyme).
Ce n’est pas l’embarras du choix des sujets qui fait le charme du site de rencontre (je dis "charme" pour confronter l'habituel "vilain étalage façon supermarché"), sinon le hasard, l’intuition, le raté qui nous fait cliquer sur un profil choisi presque malgré soi : tout ce que l’on sait et ce à quoi l’on peut s’attendre ne nous troublera jamais suffisamment pour nous faire craquer et nous faire avancer. Alors au milieu de la foultitude de profils à peine brossés, se trouve enfoui l’inédit, car la pire chose qui peut nous arriver consiste à obtenir exactement ce que nous désirons. “La folie c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent” nous rappelle Einstein. Il nous faut "Provoquer la chance" comme nous y invite Charles Pépin. Là est cette combinaison erronée, cette erreur salutaire qui nous permet de dérailler pour explorer de nouveaux horizons, changer de décor, opérer « l’upgrade ».
L’échec n’existe pas. Il n’y a que des expériences enrichissantes.

La rencontre, créer du “jeu” dans le “je” social (Pépin)
Le succès des sites de rencontre tient entre autres au fait que la rencontre, à la suite de siècles de besoin de sécurité physique et sociale, soit le nouveau terrain de jeu du XXIè siècle. Après l’amorce de l’accès aux loisirs, aux plaisirs, il est plus aisé de sortir de son cadre social pour “jouer” avec les autres “voir ce que ça fait” de dire ou faire cela.

En déplaçant le moi social, en en perturbant la clarté, brouillant ses contours, et parfois même en en révélant le leurre, l’artifice, la rencontre redonne droit de cité au moi profond.
- Charles Pépin
Nous sommes aujourd’hui aidés par un environnement où la morale nous laisse de plus en plus en paix, permettant aussi par là à chaque individu de décider en son nom propre ce qui est bon pour lui, ou non, aussi bien en termes de plaisir, de type de rencontre, de type de relation ou de type de sexe.

Ode à la légèreté et à l’ivresse, éloge du risque
Nos vies s’inscrivent dans une spirale évolutive jalonnée de relations. Chacune de celles-ci nous pousse un peu plus loin, un peu plus haut sur la spirale.
Il faut donner sa chance à demain.

Vous ne savez jamais ce que vous trouverez derrière une porte. Peut-être que c'est ça la vie : tourner les poignées.
- Albert Espinosa

"Enivrez-vous" dit encore Charles Baudelaire. Quand on est adolescent, on pense qu’il faut vivre sa vie à toute allure, car on pense que l’ivresse un jour se termine. Mais c’est une erreur, l’ivresse est toujours là au tournant d’une histoire, au tournant d’une entreprise, au tournant d’un chagrin, car “Le nouveau est un risque prodigieux” nous dit Anne Simpère.
Le jeu de la séduction, l’accroche d’un regard, d’un mot c’est le début d’une nouvelle ivresse, d’un nouveau risque (Anne Dufourmantelle). Oser un peu plus loin... voir si l’autre suit, voir où il nous emmène. C’est enivrant. Comme l’est l’excitation de l’approche, la découverte d’un nouveau corps. Embrasser nos relations avec légèreté nous permet d'échapper à la gravité qu'elles portent encore intrinsèquement, tel nous l'illustre l'aphorisme "relation sérieuse" pour mieux céder au jeu, au hasard et donner par là une vraie chance à la rencontre de se produire, voire éventuellement à la relation de naitre.

L’intimité et la profondeur du temps
L’intimité ne nait pas uniquement dans le temps et de la meilleure connaissance de l’autre. Elle peut nous saisir au détour d’une rencontre furtive si nous voulons bien nous y laisser couler. Si nous acceptons d’être pour une fois tout entier au moment partagé, sans filet, il est des profondeurs surprenantes qui peuvent éprendre notre corps et notre âme d'une ivresse enchanteresse.
L'intimité c'est aussi d'être dans le confort de son canapé alors que l'on "rencontre" de nouveaux profils, d'être "chez soi" dans tous les sens du terme. Cette intimité là nous permet de se lâcher, d'être plus audacieux, voire un brin effronté.e se laissant ainsi dériver vers l'inédit jusqu'à allécher nos limites.
Allons chercher chez l'autre le millionième de dissemblance.

Donc OUI à la rencontre.
POUR les sites comme lieu de rencontre.
Rien de tel que de se prendre un moment pour swiper en rentrant du boulot et découvrir d’autres profils, s’inventer autre, se laisser surprendre, découvrir et laisser libre cours à des parties de soi insolites.
Ce qu’on en fera ne dépendra que de nous et de l’autre et ne s’inscrit pas dans la critique de ces applis.


Ils en parlent :

La rencontre - Charles Pépin
Gary Becker (A therory of Mariage)
Sex Fiends - Richard Mèmeteau
Anatomy of love - Helen Fisher
Pourquoi l’amour fait mal - Eva Illouz
La crème de la crème - Film Kim Chapiron 2014
Éloge du risque - Anne Dufourmantelle
E-Love téléfilm . Week-End - Anne Villacèque
L'insoutenable légèreté de l'être - Milan Kundera

2 commentaires

HGL

20 Jan 2021

Superbe ce petit texte, j’adore! Ça me donne des envies de galets chauds :)

S.

20 Jan 2021

Mais ouiiii !! Vive les galets et les coups fourrés ;-)

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